مصر و الجزائر (1952-1972)
National song (Egypt and Algeria 1952-1972)
Chants nationalistes (d’Égypte et d’Algérie 1952-1972)
La Carte et le Territoire
Si vous cherchez sur Google le chanteur Rabah Driassa (né en 1934) et que vous consultez sa page Wikipedia en arabe, vous lirez ce paragraphe : "Il a commencé sa carrière de chanteur en 1953 après avoir travaillé dans de nombreux domaines, l’art devenant dès lors l'élément le plus important de son parcours de vie. Il a chanté la patrie, l'amour, la beauté et la sagesse. Il a chanté la chanson bédouine et la chanson algérienne, engagée et respectable.
Il a chanté la chanson bédouine et la chanson algérienne, engagée et respectable. Cheikh Rabah Driassa jouit ainsi d'un respect et d'une position privilégiée auprès du public en Algérie et à l'étranger, à tous les échelons de la société, pour la paix et la douceur de ses chansons, dépourvues de mots grossiers." Ce passage donne une idée des portraits que Rabah Driassa a pu dresser dans ses chansons les plus célèbres.
Driassa a ainsi bénéficié d'une large présence sur les chaînes officielles durant les années qui ont suivi l'indépendance, et Nedjma Kotbeya (Étoile Polaire) est peut-être la plus célèbre de ses anciennes chansons.
En bref, elle évoque l'apparition au poète d'une belle jeune fille, qu’il interroge alors sur son origine. Il lui dit qu'elle vient peut-être de l'Ouest, puis peut-être de l'Est, et enfin peut-être d'une tribu amazighe. Ce à quoi elle lui répond en conclusion : "Je suis une Arabe algérienne", conformément à la doctrine de l'État et du parti de l'époque.
Même après les années soixante-dix, l'étoile de Driassa n'a cessé de briller, et les années quatre-vingt ont peut-être été sa période la plus féconde, avec notamment la sortie de ses célèbres titres Yehiaw Oulad Beladi (Vive les enfants de mon pays), Sameeni Sharqi Sameeni Gharbi (Appelle-moi l'Est, appelle-moi l'Ouest) et, bien plus encore, de sa chanson cartographique distinctive El Jawla (La tournée), dans laquelle il fait le tour de tous les États et villes du pays. Il s'agit d’un morceau de 21 minutes, dans lequel Driassa énonce inlassablement les noms de dizaines de villes, en donnant une métaphore à chacune d'entre elles. Peu importe si celle-ci est véridique, l'important est qu'elle nourrisse la rime.
Ce qui est fascinant en 2021, c'est de voir comment Driassa se présentait à la fin des années 1980, avec ses cheveux teints, son costume rose et en arrière-plan une succession de photos illustrant l'"unité nationale". Ces dernières mettaient ainsi en scène des soldats, des athlètes, des universitaires, des étudiants, des agriculteurs et des industriels. Des femmes et des hommes construisant la patrie, en chantant Yehiaw Oulad Beladi, alors que Driassa conte que l'Algérie est "Est, Ouest, Centre, Sud, et Tribus" et entonne : "les fils de mon pays sont frères et ne sont pas séparés par l'inimitié." Quelques années plus tard, la guerre civile brûlera des ponts fragiles aux yeux de beaucoup, mais pas à ceux de Driassa et de ses camarades.
Les chansons météo (2)
Avant même Driassa, le chanteur populaire et vedette des squares et cafés de la diaspora maghrébine de France Dahmane El Harrachi (1926-1980) a lui aussi dessiné la carte tant convoitée du pays dans lequel il ne revenait que l'été. Tout au long des années 1960 et 1970, El Harrachi a chanté les "chansons météo" et créé ainsi des cartes postales pour chaque ville, à l’image de son titre Bilad Al-Khair (Pays de la bonté) sorti au début des années 1970.
El Harrachi a de fait libéré le genre chaabi de son isolationnisme métropolitain en évoquant d’autres choses que la capitale et les anciens poèmes algériens, et a élargi ainsi, en tant que migrant parmi les migrants des banlieues françaises, le sens du mot « Algérie », de la ville à la campagne.